Montréal, le 22 janvier 2024
 

Monsieur Éric Girard
Ministre des Finances
12, rue Saint-Louis, 1er étage
Québec (Québec) G1R 5L3

 

Objet : Budget 2024 - Mettre fin à l’incertitude et l’immobilisme en transport collectif

Monsieur Girard,

Alors que l’automne 2023 a mis en lumière les enjeux de financement des transports collectifs et que tous s’entendent sur la nécessité de trouver des solutions rapidement, il nous fait plaisir de vous transmettre, cette année encore, nos recommandations pour le budget 2024-2025 du Gouvernement du Québec. Trajectoire Québec, dont la mission est de faire la promotion des droits et des intérêts des citoyennes et citoyens en matière de transports collectifs partout au Québec, tient à rappeler que soutenir ce secteur est essentiel autant au niveau du développement économique et social du Québec qu’à sa transition énergétique. Ainsi, nous proposons des mesures relatives au financement des transports collectifs, à leur gouvernance et finalement à l'accroissement de leur utilisation. 

L’essentielle relance des services de transport collectif

Dès 2019, une grande consultation sur le financement de la mobilité a été lancée par le ministère des Transports et de la Mobilité durable, puisqu’on voyait déjà poindre les enjeux de déficit du FORT et de financement des réseaux de transport en commun. Durant cet exercice, tous s'entendaient sur l’importance de revoir le modèle de financement de la mobilité et de diversifier les sources de revenus. Depuis, rien n’a vraiment été fait pour corriger le problème. De surcroît, les effets de la pandémie sont venus creuser le manque à gagner, déjà prévisible en raison du modèle de financement désuet. 

L’automne 2023 aura été marqué par énormément d’incertitudes quant aux budgets des sociétés de transports, alors que le villes ont dû attendre jusqu’à la dernière minute pour connaître la contribution du Gouvernement du Québec. Depuis le printemps 2022, on nous promet une entente sur cinq ans, permettant stabilité et prévisibilité aux sociétés de transports. Pour les usagers et usagères, il est essentiel que cette entente voit le jour le plus rapidement possible, et que celle-ci permette de développer les services. Afin d’être en cohérence avec les objectifs de la Politique de mobilité durable et de son plus récent plan d’action, le financement devrait permettre une croissance de l’offre de service de 7% par année. 

Québec doit agir afin que cessent les réductions de services et que nous retournions à une période de croissance de l’offre!. En effet, les transports collectifs sont un élément du filet social québécois en plus de générer d’importantes retombées économiques.  Les transports collectifs doivent être vus comme des services essentiels contribuant à la vitalité économique du Québec, aux efforts environnementaux et à la lutte contre les inégalités sociales.

Recommandations prébudgétaires

 

Financement de la mobilité

Concernant le financement de la mobilité, Trajectoire Québec préconise de suivre les recommandations de l’Alliance Transit : 

Recommandations court terme : 
  1. Bonifier les sources de financement immédiatement disponibles
    1. Effectuer dès maintenant un rattrapage et une indexation des taxes provinciales sur les carburants et l’immatriculation
    2. Augmenter la part des revenus du marché du carbone dédiée au transport collectif à des fins de croissance de l’offre, notamment par le remplacement des rabais à l’achat d’un véhicule électrique

 

Recommandations moyen-terme : 
  1. Diversifier les sources de financement
    1. Corriger les règles de financement des réseaux de transport qui accordent systématiquement un avantage au réseau routier
    2. Remplacer la taxe sur le carburant en tarifant l’utilisation des voitures avec un système de tarification kilométrique ou de péages, ainsi que des taxes sur le stationnement.

 

Recommandations pour favoriser les investissements d’infrastructures des transports collectifs plutôt que routiers
  1. Équilibrer les investissements confirmés pour diriger au moins 50 % des investissements du Plan québécois des infrastructures (PQI) en transport terrestre pour les transports collectifs
  2. Adopter un moratoire sur le développement autoroutier à des fins de navettage pour favoriser la réfection des routes et le développement des transports collectifs. 100 % des sommes prévues pour le réseau routier devraient ainsi être vouées à l’entretien
  3. Utiliser le réseau routier existant, sans élargissement, pour le déploiement de voies réservées  

 

 

Gouvernance

Plusieurs enjeux qui relèvent de la gouvernance créent un contexte défavorable pour l’amélioration des services de transport collectif et, incidemment, leur utilisation. Ainsi les recommandations suivantes s’attaquent à ce phénomène, toujours dans l’objectif de favoriser le développement de transports collectifs et leur utilisation, en cohérence avec les objectifs fixés dans la Politique de mobilité durable, dans le Plan pour une économie verte et même dans la Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire. 

En effet, étant donné qu’autant la construction que l’entretien du réseau routier supérieur est assumé par le Gouvernement du Québec alors que le transport en commun est en grande partie assumé par les municipalités, notamment au niveau de l’exploitation des services, il est beaucoup plus avantageux pour une municipalité de se développer autour du développement autoroutier qu’autour du transport en commun. Ce désavantage envers le transport en commun doit être corrigé au plus vite pour favoriser la mobilité durable et atteindre nos objectifs. 

  • Appuyer les municipalités dans le développement et le maintien des services de transport collectif.
    • Revoir les règles de financement des réseaux de transport afin de favoriser le développement du transport collectif par les municipalités plutôt que le développement du réseau routier, et ainsi freiner l’étalement urbain. 

 

D’un point de vue de gouvernance, le fait que les services de transport collectif ne soient pas reconnus comme des services essentiels au sens de loi pose aussi problème. Nous en avons eu l’exemple l’été dernier lorsqu’une grève des chauffeurs et chauffeuses du Réseau de transport de la Capitale a privé les usagers et usagères de services pendant plusieurs jours. Pour de nombreuses personnes, le transport collectif est la seule option pour se déplacer vers des services essentiels, comme les établissements de santé, la pharmacie ou l’épicerie. 

 

  • Réviser la loi afin de garantir que le transport en commun soit considéré comme un service essentiel, et ce, partout au Québec.

 

Les gens dépendent tout autant des services de transport collectif interurbain et la situation se dégrade dramatiquement. En effet, une récente étude de l’IRIS nous apprenait qu’en seulement 7 ans, nous avons vu le nombre de départs en transport collectif interurbain chuter de 33%. Si l’on compare avec 1981, c’est 85% de diminution de service! Ces chiffres sont alarmants et démontrent sans équivoque que le modèle actuel d’interfinancement des lignes ne remplit plus sa promesse d’assurer des services de qualité partout sur le territoire. Afin d’offrir aux Québécoises et Québécois des services attrayants qu’ils auront envie d’utiliser, il est essentiel de trouver un modèle d’organisation de l’industrie qui permet d’assurer une couverture du territoire optimale à des prix abordables. Rappelons que plusieurs personnes dépendent du transport collectif interurbain pour avoir accès à divers services essentiels, notamment des soins de santé. 

  • Revoir le modèle de gouvernance du transport collectif interurbain afin d’assurer une couverture optimale du territoire québécois.
    • Lancer une réflexion avec l’ensemble des acteurs du milieu afin de déterminer un modèle optimal;
    • Déterminer un plan d’action pour réformer le secteur du transport collectif interurbain d’ici 2025. 

 

Depuis sa création en 2018, le Comité de suivi de la Politique de mobilité durable fait un travail remarquable pour conseiller le Ministère des transports et de la Mobilité durable afin de favoriser l’atteinte des cibles fixées par la Politique. Pourtant, contrairement aux autres comités consultatifs du gouvernement, comme le comité consultatif sur les changements climatiques, il ne bénéficie pas d’un soutien financier approprié. 

 

  • Assurer un financement stable, pérenne et suffisant au Comité de suivi de la Politique de mobilité durable.

 

 Mesures relatives à l’accroissement de l’utilisation des modes collectifs

Avec l’inflation galopante des dernières années, de plus en plus de ménages québécois sont préoccupés par leur situation financière. L’utilisation des modes de transport actifs et collectifs constitue une excellente mesure pour réduire le fardeau financier. En effet, le transport représente le deuxième poste de dépense des ménages québécois avec plus de 20% du budget y étant consacré. Selon CAA Québec, en 2020, le budget moyen alloué à une automobile était de 11 000$ annuellement! L’utilisation du cocktail transport, de son côté, permet des économies de 50 à 75% pour les gens vivant dans un centre urbain. Ainsi, avec Piétons Québec, Vélo Québec et Vivre en Ville, nous avons proposé en 2022 une variété de mesures à mettre en place par votre gouvernement afin de permettre aux ménages québécois de se libérer du fardeau financier d’une deuxième voiture. Trajectoire Québec se permet donc de vous recommander les suivantes dans le cadre de l'exercice budgétaire 2024-2025. 

  1. Mettre en place des mesures permettant aux ménages québécois de se libérer du fardeau financier de la possession d’une deuxième voiture
    1. Doubler l’offre de service en transport collectif d’ici 2035 et assurer le service dans les régions rurales. 
    2. Déployer un service d’autopartage dans toutes les régions du Québec et soutenir les initiatives de covoiturage locales
    3. Assurer la pérennisation des services de taxis dans les régions du Québec
    4. Viser à ce que les deux tiers des investissements confirmés en transport terrestre soient dédiés aux transports collectifs d'ici 2026
    5. Appuyer financièrement des projets d'aménagement urbain durables partout au Québec à la hauteur d'au moins 100 M$ par année afin de créer des quartiers complets favorables aux déplacements actifs et collectifs;

Si l’inflation affecte tout le monde, la situation est particulièrement difficile pour les personnes à faible revenu. Que ce soit pour des raisons financières ou autres, pour plusieurs, la possession automobile n’est pas une option. Les transports collectifs constituent donc un élément crucial du filet social. Pour plusieurs d’entre eux,  se procurer un titre de transport collectif est souvent synonyme de luxe. En effet, plusieurs travailleurs essentiels ainsi que les populations vulnérables dépendent du transport en commun pour leurs déplacements essentiels. Ainsi, il est nécessaire que le gouvernement s’assure de l’accessibilité financière de tous aux services de transport collectif par l’instauration d’une tarification sociale basée sur le revenu dans les transports en commun. 

 

  1. Assurer l’accessibilité financière des citoyens aux services de transport collectif par l’instauration d’une tarification sociale basée sur le revenu.
    1. Instaurer une mesure d’accompagnement financier à l’établissement d’une tarification sociale. Cette mesure d’équité sociale est présente dans au moins dix agglomérations canadiennes. D’ailleurs, la Ville de Calgary estime que « pour chaque dollar investi dans le programme de tarification sociale s’adressant aux ménages à faible revenu, la société récupère 12,25$ ». Pour des raisons d’accroissement de la mobilité et d’économies pour le système public, le gouvernement du Québec devrait appuyer les municipalités et sociétés de transport qui veulent instaurer une tarification sociale basée sur le revenu.
    2. Que le gouvernement du Québec, par l’entremise de Revenu Québec, collabore avec les Sociétés de transport ou municipalités instaurant un programme de tarification sociale basée sur le revenu afin que ce soit la responsabilité de Revenu Québec de déterminer l’éligibilité aux programmes.

Trajectoire Québec est à votre disposition pour discuter et approfondir ces propositions.  Veuillez recevoir, monsieur Girard, nos salutations distinguées.

 

 

Sarah V. Doyon
Directrice générale

 

 

Champ d'intervention