Évaluation des projets de transport - Cessons de désavantager les transports collectifs! 

 

Lorsqu’il a annoncé son projet pharaonique de troisième lien entre Québec et Lévis, le premier ministre François Legault a parlé en conférence de presse d’un coût estimé entre 6 et 7 milliards de dollars, auxquels s’ajoutent des réserves et d’autres frais se situant entre 10 % et 35 % du coût de construction. Les Québécois et Québécoises ont donc compris qu’il s’agissait plutôt d’un projet de 10 milliards de dollars (pour l’instant). 

 

Or, le gouvernement ne s'embarrasse pas de telles nuances pour les projets de transport collectif. En effet, pour le prolongement de la ligne bleue ou pour le tramway de Québec par exemple, ces frais sont de facto inclus dans l’estimation présentée. En effet, depuis quelques années, les sociétés de transport en commun doivent systématiquement présenter les « frais de financement » et autres réserves dans le prix annoncé d’un projet. 

 

Il s’agit fort probablement d’une bonne pratique comptable, mais qui peut semer la confusion si elle n’est pas appliquée uniformément dans les communications faites par les élus, comme c’est le cas pour le troisième lien. Par ailleurs, la comparaison avec d’autres projets de transport collectif réalisés à l’international peut être affectée, donnant l’impression que tout coûte systématiquement trop cher au Québec. 

 

Urgence de réformer la Loi sur l’expropriation 

Le monde municipal demande par ailleurs avec raison une réforme de la Loi sur l’expropriation depuis des années, et il est grand temps d’aller de l’avant. Comme l’a documenté l’Union des municipalités du Québec, qui a réalisé des comparaisons avec les autres juridictions canadiennes, l’interprétation des tribunaux québécois dans les dossiers d’expropriation causent des délais disproportionnés, en plus d’octroyer un montant exagérément supérieur à la valeur marchande aux parties expropriées. 

 

Les projets d’intérêt public qui nécessitent un grand nombre d'expropriations, comme les projets de transport collectif, se voient donc retardés en plus de coûter plus cher. On sait pourtant que construire la ville sur la ville est une bonne pratique d’optimisation des infrastructures contribuant à la santé des finances publiques. 

 

Le gouvernement reconnaît d’ailleurs que ce problème est bien réel et s’est engagé à y remédier lors de la conclusion de l’entente fiscale et financière avec le milieu municipal en 2019, mais les actions concrètes se font toujours attendre. En plus de contourner les processus environnementaux, la Loi concernant l'accélération de certains projets d'infrastructure (projet de loi 66) adoptée à l’automne 2020 n'offre qu’une solution partielle et temporaire. 

 

Dépasser la question des coûts de construction 

Au-delà des coûts de construction des projets d’infrastructure, une analyse plus approfondie des coûts assumés par l’ensemble de la société (congestion, pollution, accidents, etc) devrait être prise en compte de manière transparente par le ministère des Transports du Québec lors de la sélection des projets à réaliser.  

 

Selon une récente étude réalisée par les chercheurs Marion Voisin et Jean Dubé de l’Université Laval, pour chaque dollar dépensé individuellement, la société québécoise paie 5,77 $ pour le transport en voiture et 1,21 $ pour le transport collectif. Sachant cela, il devient clair qu’en milieu urbain, la priorité absolue en matière de développement de l’offre de transport devrait aller au transport collectif. 

 

Sacrifier la qualité des projets de transport collectif structurants actuellement planifiés au Québec, comme le prolongement de la ligne bleue dans l’est de Montréal, n’a tout simplement pas lieu d’être. 

 

Dans ce dossier précis, la collaboration de tous les partenaires du projet au sein du groupe d’action dirigé par l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) est certes salutaire. Rappelons toutefois qu’un projet qui se veut structurant pour le développement urbain d’un secteur se doit d’être à la hauteur. Voilà un bon exemple où les coûts gagnent à être appréciés en tenant compte des grands bénéfices potentiels. 

 

Avoir le sens des responsabilités

Il est évidemment nécessaire d’offrir un réseau routier et sécuritaire aux Québécois et aux Québécoises. Comme l’affirment les organisations à vocation économiques, environnementales et sociales rassemblées au sein du G15+, Québec devrait accélérer les investissements dans le maintien des actifs du réseau routier plutôt que dans le développement de la capacité routière. 

 

Rappelons que le réseau routier québécois est plus de 50 % plus vaste que celui de l'​Ontario, alors que la population est presque moitié moindre. 

 

Après des décennies à avoir sous-financé les transports collectifs et développé des milieux de vie dépendants à l’automobile, le Québec doit cesser la construction d'autoroutes servant à des déplacements quotidiens et, minimalement, rééquilibrer les investissements totaux entre les réseaux routiers et collectifs, objectif inscrit dans le Plan pour une économie verte 2030 du gouvernement. 

 

Avoir le sens des responsabilités, c’est investir dans les solutions, pas dans le problème. 


 

Les signataires sont membre de l’Alliance TRANSIT 

 

Christian Savard, directeur général, Vivre en Ville 

 

Colleen Thorpe, directrice générale, Équiterre

 

Emmanuel Rondia, directeur général, Conseil régional de l’environnement de Montréal

 

Etienne Grandmont, directeur général, Accès transports viables

 

Florence Junca-Adenot, professeur, UQÀM

 

Sabaa Khan, directrice générale, Québec et l’Atlantique à la Fondation David Suzuki

 

Samuel Pagé-Plouffe, coordonnateur, Alliance TRANSIT

 

Sarah V. Doyon, Directrice générale, Trajectoire Québec