Montréal, le 9 février 2022

Monsieur Éric Girard

Ministre des Finances

 

Objet : Budget 2022 - Recommandations concernant les services de mobilité pour les citoyens

Monsieur Girard,

En tant qu’association concernée par les politiques gouvernementales touchant la question de la mobilité durable, il nous fait plaisir de vous transmettre, encore cette année, nos recommandations pour le budget 2022-2023 du gouvernement du Québec.

Trajectoire Québec est une association qui intervient dans la représentation des citoyens et la promotion de leurs intérêts en matière de transports collectifs partout au Québec. Fondée en 1977, l’association soutient l’accès à des services de mobilité abordables, sécuritaires et de qualité, en plus de rassembler et de mobiliser citoyens, associations et corporations grâce à son expertise. L’association agit par des représentations, mobilisations, des interventions médiatiques et par la remise annuelle des Prix Guy-Chartrand.

Atténuer les effets négatifs à long terme de la pandémie sur les transports collectifs

Alors que nous approchons de deux ans à vivre avec la pandémie de Covid-19 et les mesures sanitaires qui en découlent, l’industrie du transport collectif se trouve en bien mauvaise position. En effet, si l’achalandage commençait à reprendre à l’automne 2021, la vague du variant Omicron aura anéanti tout espoir de retour à la normale en 2022. Les sociétés de transport se retrouvent ainsi avec des déficits importants causés par les pertes de revenus tarifaires, alors qu’elles doivent tenter de maintenir un haut niveau de service. Or, la pandémie n’aura pas ralenti ni la crise climatique ni les inégalités sociales. Dans cette optique, autant pour atteindre nos objectifs environnementaux que sociaux,  nous devons nous assurer de continuer d’offrir à la population des services de transport collectif de qualité et attrayants!  

Les impacts de la pandémie sont multiples; la situation sanitaire a complètement transformé les finances publiques du Québec, si on compare au budget 2020-2021. La situation financière actuelle ne doit toutefois pas justifier un ralentissement des investissements en transport collectif. En effet, les transports collectifs sont un élément du filet social québécois en plus de contribuer à la relance économique qui devra suivre la crise sanitaire. Les transports collectifs doivent être vus comme des services essentiels contribuant à la vitalité économique du Québec, aux efforts environnementaux et à la lutte contre les inégalités sociales.

Recommandations prébudgétaires

Dans ce contexte, Trajectoire Québec vous formule des recommandations à trois égards : le financement de la mobilité les mesures pour favoriser un retour de l’achalandage et la gouvernance.

Financement de la mobilité

Concernant le financement de la mobilité, Trajectoire Québec préconise de suivre les recommandations de l’Alliance Transit : 

1. Renouveler de manière pluriannuelle l’aide dédiée au transport collectif afin d’éviter toute coupure de services de transport collectif, en cohérence avec l’engagement du ministre des Transports pris à  l’automne 2021

  • Solliciter le gouvernement fédéral afin d’obtenir un engagement pluriannuel pour le maintien des services jusqu’au retour de l’achalandage prépandémique ;
  • Compenser les pertes de revenus provenant des subventions gouvernementales à l’exploitation pour le transport collectif régional ;
  • Favoriser le retour rapide de l’achalandage au sortir de la crise sanitaire notamment par des campagnes de promotion de la mobilité durable ;
  • Favoriser le repartage de l'espace de voirie au profit des transports collectifs par le financement de mesures préférentielles pour bus, nouvelles ou rehaussées, sur les réseaux locaux ou supérieurs.

 

2. Rééquilibrer à 50/50 les investissements entre transports collectifs et routiers et avoir des orientations claires à moyen terme

  • Équilibrer les investissements en transport pour atteindre rapidement un taux de 50 % des investissements du Plan québécois des infrastructures (PQI) en transport terrestre pour les transports collectifs comme prévu dans le Plan pour une économie verte ;
  • Conserver 100 % des sommes prévues pour le maintien de l’offre de service du réseau routier ;  
  • Mettre à jour les documents de planification afin de garantir la bonification de l’offre de service de 5% par année prévue dans la PMD 2030 ;
  • Mettre en place un programme de redevance-remise afin de stimuler plus efficacement l’électrification des véhicules légers et ​​réallouer aux transports collectifs une partie des sommes dévolues aux rabais à l’achat de véhicules électriques financés par le marché du carbone.

 

3. Donner suite au Chantier sur le financement de la mobilité en revoyant les sources de revenus pour le financement des réseaux de transport dans le contexte de stagnation des revenus de la taxe sur l’essence depuis sept ans 

  • Prendre en considération l’urgence des besoins en matière de financement du transport collectif, tel que mentionné dans le document synthèse du Chantier sur le financement de la mobilité ;
  • À court terme, viser l’équilibre revenus-dépenses du Fonds des infrastructures routières et de transports collectifs (FORT), en rehaussant annuellement la taxe sur l’essence ;
  • Bonifier les modalités des programmes de soutien gouvernemental aux transports collectifs, tant pour les opérations que pour les immobilisations, afin d’atténuer l’effet de deux poids deux mesures découlant des règles de financement des réseaux de transport en défaveur de la mobilité durable ;
  • Diversifier les sources de revenus en ayant recours à des mesures écofiscales (p. ex. péage routier, redevance-remise pour autofinancer l’électrification des transports, politique de stationnement, etc.) en collaboration avec le milieu municipal;
  • Encourager et outiller les régions du Québec afin qu’elles utilisent le champ fiscal à leur disposition (contribution sur l’essence) pour mettre en place des services de transports collectifs ;
  • Favoriser le déploiement d’un projet pilote afin d’évaluer l’opportunité de remplacer la taxe sur l’essence par une tarification kilométrique d’ici 5 à 10 ans. 

 

 Mesures incitatives pour favoriser le retour de l’achalandage dans les TC

La pandémie a engendré des chutes drastiques de l’achalandage du transport collectif, atteignant 80% à 90% dans les divers réseaux du Québec au plus fort de la crise. Alors que l’achalandage avait repris graduellement pour atteindre environ 60% à l’automne 2021, le variant Omicron et la cinquième vague ont fait chuter de nouveau la fréquentation des services de transport collectif. Certes, le manque de raison de se déplacer explique la faible fréquentation, mais après deux ans de pandémie, il faut reconnaître qu’un sentiment de peur s’est installé chez certains usagers, alors que d’autres ont changé leurs habitudes de déplacements au profit de l’automobile privée. Il faudra mettre les bouchées doubles afin de regagner la confiance envers les transports en commun et favoriser un retour rapide des usagers après la crise sanitaire.

Par ailleurs, la pandémie met en lumière l’importance des services de transport collectif comme élément du filet social. En effet, plusieurs travailleurs essentiels ainsi que les populations vulnérables dépendent du transport en commun pour leurs déplacements essentiels, comme en témoignent les niveaux d’achalandage dans les circuits d’autobus de quartier nettement supérieurs aux circuits destinés au centre-ville. De plus, il est essentiel de s’assurer de l’accessibilité financière de tous aux services de transport collectif. Rappelons que le transport représente le deuxième poste de dépense des ménages québécois avec plus de 20% du budget y étant consacré. Pour les populations vulnérables, se procurer un titre de transport collectif est souvent synonyme de luxe. 

1. Déployer une vaste campagne de promotion des transports collectifs afin de favoriser un retour rapide de l’achalandage

 

2. Assurer l’accessibilité financière des citoyens aux services de transport collectif par l’instauration d’une tarification sociale basée sur le revenu.

  • Instaurer une mesure d’accompagnement financier à l’établissement d’une tarification sociale. Cette mesure d’équité sociale est présente dans au moins dix agglomérations canadiennes alors qu’au Québec, il n’existe que le programme Écho de la Société de transport de l’Outaouais. En plus de l’accroissement de la mobilité pour les moins nantis, les bénéfices pour la société sont nombreux. En effet, la Ville de Calgary estime que « pour chaque dollar investi dans le programme de tarification sociale s’adressant aux ménages à faible revenu, la société récupère 12,25$ ». Pour des raisons d’accroissement de la mobilité et d’économies pour le système public, le gouvernement du Québec devrait appuyer les municipalités et sociétés de transport qui veulent instaurer une tarification sociale basée sur le revenu.
  • Que le gouvernement du Québec, par l’entremise de Revenu Québec, collabore avec les Sociétés de transport ou municipalités instaurant un programme de tarification sociale basée sur le revenu afin que ce soit la responsabilité de Revenu Québec de déterminer l’éligibilité aux programmes.

 Gouvernance

1. Assurer un développement cohérent et intégré des transports collectifs dans la région métropolitaine de Montréal.  

  • Respecter le mandat exclusif de planification du transport collectif de l’ARTM comme prévu à l’article 15 de la loi 76.
  • Assurer une approche transparente dans la planification, la conception et la réalisation des projets de REM.
  • Accélérer l’implantation de voies réservées aux autobus afin d’assurer la fiabilité et l’attractivité des transports collectifs

 

2. Appuyer les municipalités dans le développement du transport collectif. 

  • Revoir la gouvernance et le financement des transports collectifs interurbains et ruraux, en visant une meilleure intégration et des programmes de soutien pluriannuels, pour contrer la décroissance actuelle des services.
  • Revoir les règles de financement des réseaux de transport afin de favoriser le développement du transport collectif par les municipalités plutôt que le développement du réseau routier, et ainsi freiner l’étalement urbain. 

Trajectoire Québec est à votre disposition pour discuter et approfondir ces propositions.  Veuillez recevoir, monsieur Girard, nos salutations distinguées.

 

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