Plusieurs se sont réjouis de l’annonce d’investissements de 10 milliards de dollars en transports collectifs dans l’est de Montréal et nous en sommes. Même si ce REM 2.0 améliorera les transports collectifs pour les usagers avec un service plus rapide et plus fréquent, est-ce le meilleur projet qui offrira un maximum de bénéfices à cette population laissée pour compte depuis 40 ans ? En plus du défi d’intégration urbaine, comment le REM s’inscrit-il dans une vision d’ensemble du développement des transports collectifs dans l’Est ? On doit se poser la question.

 

L’intégration avec les autres services de transports collectifs

Une telle infrastructure vise à développer le territoire et à attirer de nouveaux usagers, qui délaissent leur automobile. Le tracé doit maximiser l’atteinte de ces deux objectifs comme l’a fait depuis 2007 le métro à Laval. Or les tracés du REM proposés sont parallèles au SRB Pie-IX, à la ligne verte et dans les bassins des lignes de train Mascouche et de métro bleue. Ce REM viendra-t-il compléter ces lignes pour améliorer la mobilité ou leur nuire en cannibalisant leurs usagers et leurs revenus ? CDPQ Infra prévoit accueillir 133 000 passagers quotidiens dont la grande majorité viendrait des autres services de transport collectif, et non de l’abandon de l’auto.

 

Le SRB Pie-IX en construction au coût de 650 millions est à 2 km de l’antenne nord du REM, le long de Lacordaire. L’achalandage quotidien prévu de 70 000 passagers est-il toujours valable et une baisse de l’achalandage causée par le REM rend-il le SRB moins pertinent ? Un tracé sur les boulevards Langelier ou des Galeries d’Anjou servirait-il mieux la population ?

 

La ligne verte entre Honoré-Beaugrand et le centre-ville longe Sherbrooke et de Maisonneuve à moins de 500 m sur 12 km du tracé proposé pour le REM.

 

Un rabattement sur la ligne verte ne serait-il pas une option plus satisfaisante puisque le métro offre une capacité résiduelle à l’est de Berri-UQAM ? Cette option réglerait en même temps plusieurs problématiques d’intégration urbaine dont celle sur René-Lévesque.

 

Si les réseaux sont complémentaires, a-t-on évalué les impacts sur la ligne de Mascouche, construite au coût de 671 millions de dollars et dont la fréquentation, déjà affectée par le REM de l’Ouest, le sera aussi par le REM de l’Est, ou la pertinence d’une station sur Saint-Zotique alors que la ligne de bus 18 (30 000 passagers) justifierait qu’elle soit sur Beaubien ?

 

Améliorer les services de mobilité pour la population de l’est de Montréal

 

Il faut saluer le projet du REM de l’Est qui propose de développer les transports collectifs dans cette partie de Montréal, mais il faut aussi que le tracé proposé réponde aux besoins de mobilité des citoyens de l’Est qui sont de grands utilisateurs du transport collectif malgré un réseau sous-développé. Les déplacements dans l’Est se font majoritairement (58 %) à l’intérieur du secteur et à peine 13 % des échanges se font vers le centre-ville de Montréal.

 

Si le REM est vraiment conçu pour desservir la population de l’Est, pourquoi Rivière-des-Prairies avec 58 000 habitants n’est-elle pas desservie, et pourquoi n’y a-t-il que cinq stations à l’est de Honoré-Beaugrand alors que Pointe-aux-Trembles et Mercier-Est comptent 94 000 habitants ?

 

Enfin, pourquoi le REM passe-t-il à plus de 2 km du pôle d’affaires des Galeries d’Anjou, point de destination important de l’est de Montréal ?

 

Un REM de 32 km à 10 milliards de dollars est-il la meilleure utilisation d’une telle somme pour offrir de nouveaux services à la population de l’Est ? Combien de kilomètres d’Express, de SRB ou de tramway peut-on offrir avec ce budget ? Le REM est-il vraiment le bon mode de transport ? Chaque fois que les solutions sont définies à partir des modes de transport plutôt que des besoins de la population, c’est une erreur grave.

 

Écoutons la science et les experts

Afin de permettre à la population de mesurer les impacts du REM sur sa mobilité future, CDPQ Infra doit, en toute transparence, répondre à ces questions et expliquer publiquement ses choix. Le REM de l’Est est-il en complémentarité ou en concurrence avec les lignes de transports collectifs alors que le REM, les sociétés de transport et l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) sont tous des organismes financés par le gouvernement du Québec et les villes ? Seule la diffusion des études menées par CDPQ Infra et une contre-expertise par l’ARTM et la Société de transport de Montréal permettront de répondre à cette question. Ces deux organisations ont su développer depuis les années 1970 une réelle expertise propre à la région de Montréal en collaboration avec Polytechnique Montréal, notamment avec les enquêtes origines-destinations régionales et les modèles de simulation des réseaux de transport.

 

Comment tous les projets de REM s’inscrivent-ils dans les orientations du plan stratégique de développement des transports collectifs de l’Autorité régionale de transport métropolitain, qui a une compétence exclusive de planification sur son territoire, et le plan métropolitain de développement et d’aménagement de la Communauté métropolitaine de Montréal ? L’ARTM doit établir un plan d’ensemble de la desserte de l’est de l’île qui inclut les projets en cours et les projets futurs afin de permettre à Montréal de se doter d’une vision globale du développement économique et social pour ce secteur stratégique de l’île de Montréal.

 

La planification des transports est une science. Écoutons la science et les experts en dévoilant les études et en comparant les solutions possibles de manière à maximiser les bénéfices pour la population de tout le territoire.

François Pepin et Florence Junca Adenot* Respectivement président du conseil d’administration de Trajectoire Québec et ex-présidente-directrice générale de l’Agence métropolitaine de Transport, et neuf autres signataires**

*François Pepin est ex-directeur d’études en planification des transports à la Société de transport de Montréal

**Cosignataires : Pierre Asselin, ex-vice-président à la planification et développement de l’Agence métropolitaine de transport et ex-président de l’Association des transports et des routes du Québec ; Gérard Beaudet, urbaniste émérite et professeur titulaire de l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal ; Pierre Bélanger, ex-directeur général de l’Association québécoise du transport intermunicipal et municipal ; Guy Benedetti, ex-directeur général du Réseau de transport de Longueuil ; Jacques Fortin, ex-directeur général de la Société de transport de Montréal ; Georges Gratton, ingénieur en transport retraité et membre du Temple de la renommée canadien en transport ; Florence Paulhiac Sherrer, directrice de la Chaire internationale sur les usages et pratiques de la ville intelligente et professeure titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal ; Louise Roy, ex-présidente-directrice générale de la Société de transport de la communauté urbaine de Montréal et présidente du conseil d’administration de CIRANO ; Paul Saint-Jacques, ex-sous-ministre adjoint au ministère des Transports du Québec et au ministère de la Métropole et ex-président-directeur général au Palais des congrès de Montréal

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